Pour quelques euros de plus… L’industrie automobile cumule les scandales !

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En septembre 2015, le groupe VW était forcé de reconnaître avoir utilisé sur certaines de ses voitures diesel un « dispositif d’invalidation »[[« Dispositif d’invalidation » signifie tout élément de conception qui détecte la température, la vitesse du véhicule, le régime du moteur en tours/minute, la transmission, une dépression ou tout autre paramètre aux fins d’activer, de moduler, de retarder ou de désactiver le fonctionnement de toute partie du système de contrôle des émissions, qui réduit l’efficacité du système de contrôle des émissions dans des conditions dont on peut raisonnablement attendre qu’elles se produisent lors du fonctionnement et de l’utilisation normaux des véhicules (règlement (CE) n° 715/2007, article 3.10)]] destiné à désactiver, en conditions réelles, les systèmes de dépollution tout en les laissant actifs lors des tests en laboratoire. Ainsi, les véhicules concernés respectaient officiellement les normes d’émissions d’oxydes d’azote (NOX). Officiellement seulement. Sur route, certains véhicules émettaient 40 fois plus que la norme en vigueur aux USA[[EPA, California Notify Volkswagen of Clean Air Act Violations, communiqué de presse publié le 18/09/2015]] (soit environ 15 fois la norme européenne[[Les émissions d’oxydes d’azote des véhicules diesel ne peuvent pas dépasser 31 mg/km aux USA et 80 mg/km en Europe.]]). Il est bien vite apparu que ces pratiques douteuses n’étaient pas le fait que d’un constructeur. Tous s’y adonnent. Les conséquences en sont dramatiques : les émissions excédentaires de NOX tuent plusieurs milliers de personnes par an en Europe. Et si, demain, le scénario se répétait avec les particules fines (polluant plus impactant encore sur la santé que les oxydes d’azote) émises par les moteurs à essence à injection directe ? C’est le chemin sur lequel la Commission et certains Etats-membres semblent vouloir nous emmener, hypnotisés par les discours d’une industrie qui combat dogmatiquement toute législation visant à protéger la santé et l’environnement.

La nocivité des particules issues de la combustion est fonction de leur composition et de leur taille. Nous en avons déjà abondamment parlé : les moteurs à allumage commandé (moteurs à essence) à injection directe (GDI pour gasoline direct injection) émettent actuellement un plus grand nombre de particules fines que les moteurs diesel[[Voir notamment ce billet: http://www.iew.be/spip.php?article4624 et pages 16 et 17 du dossier « L’automobile en questions » disponible ici : http://www.iewonline.be/IMG/pdf/15qr_auto.pdf]]. Les véhicules équipés de ces moteurs représentaient déjà 35% du marché des voitures à essence en 2014.[[The ICCT, European vehicle market statistics, Pocketbook 2015/2016, p. 42 (http://www.theicct.org/sites/default/files/publications/ICCT_EU-pocketbook_2015.pdf)]] Le centre de recherches conjoint de la Commission européenne (le JRC) estime que, en 2030, le nombre de particules issues des moteurs GDI sera supérieur à celui des particules venant des moteurs diesel.[[JRC, 2011, Feasibility of Introducing Particulate Filters on Gasoline Direct Injection Vehicles, p. 37]]

25 euros par voiture : trop cher pour la santé humaine !

Equiper un moteur GDI d’un filtre à particules permet de diminuer la masse de particules émises par un facteur 10 et le nombre de particules par un facteur 100.[[JRC, 2012, Assessment of particle number limits for petrol vehicles]] Ces résultats du JRC ont été confirmés en 2013 dans le cadre d’une étude menée pour le compte de T&E[[T&E, Particle emissions from petrol cars, Briefing paper, November 2013]] sur base de tests en laboratoire et en 2016 par l’AECC sur base de tests sur route.[[AECC, Project on real-world GDI PN emissions, AECC technical seminar on RDE PN, July 4th 2016]] Les filtres pour véhicules à essence sont moins chers, plus simples, plus compacts et plus durables que ceux utilisés sur les véhicules roulant au diesel. Ces filtres sont disponibles sur le marché mais, en l’absence de contrainte légale, rares sont les véhicules à en être équipés. Même s’ils ne coûtent que 25 euros.[[Engine Technology International, Chris Pickering, Polarizing filters, January 2016]] Les groupes Daimler, Volkswagen et PSA ont annoncé leur intention d’équiper la plupart de leurs futurs modèles de tels filtres – mais pas tous.

Des normes introduites à petits pas

Les normes Euro 6 ont été introduites par le règlement (CE) n° 715/2007. Celui –ci fixe, pour les émissions des voitures à moteur diesel, un nombre maximum de 6×1011 (ou 600 milliards) de particules fines par kilomètre roulé. Ceci « tout au long de la vie normale des véhicules, dans des conditions d’utilisation normales. » (article 4 du règlement). Cette limite est entrée en application le 1er septembre 2014 pour l’homologation de nouveaux types de voitures et le 1er septembre 2015 pour toutes les voitures neuves vendues en Europe. Le règlement (UE) n° 459/2012 définit les dispositions relatives aux moteurs à essence à injection directe : la limite de 6×1011 sera applicable avec un délai de 3 ans, soit au 1er septembre 2017 pour l’homologation de nouveaux types et le 1er septembre 2018 pour la vente de toutes les voitures neuves. Durant ce délai de 3 ans, il est toléré que les moteurs à essence à injection directe émettent 10 fois plus de particules que les moteurs diesel, soit 1000 milliards de particules fines par km roulé. Pour la petite histoire, rappelons que la limite de 6×1011 correspondant aux performances du plus mauvais filtre testé entre 2004 et 2007[[http://www.iew.be/spip.php?article4624]].

Vers des tests réels irréalistes

RDE pour real driving emissions ou émissions en conditions de conduite réelles. Cet acronyme désigne les tests et procédures destinés à vérifier les émissions des véhicules dans des conditions proches des conditions d’utilisation représentatives de la conduite d’une voiture en Europe[[Pour une analyse des RDE, voir ce billet : http://www.iew.be/spip.php?article6855]]. Ceci pour compléter les tests actuels, menés en laboratoire et fort peu représentatifs de la réalité. La mise en place de ces tests par la Commission européenne est un acte d’exécution relevant de la procédure de comitologie[[Le terme «comitologie» concerne l’ensemble des procédures en vertu desquelles la Commission européenne exerce les pouvoirs d’exécution conférés par le législateur européen, assistée des comités de représentants des pays de l’Union européenne (UE). Ces comités de comitologie sont présidés par un représentant de la Commission et donnent un avis sur les actes d’exécution proposés par la Commission : http://eur-lex.europa.eu/summary/glossary/comitology.html?locale=fr et L’art du mitagehttp://ec.europa.eu/transparency/regcomitology/index.cfm?do=FAQ.FAQ&CLX=fr#6]]. C’est la Commission qui propose et le Conseil qui dispose (en l’occurrence via les représentants des Etats membres siégeant au sein du comité technique sur les véhicules à moteur ou TCMV). Deux premiers « paquets » RDE ont déjà été adoptés, relatifs aux conditions et procédures de tests ainsi qu’aux émissions d’oxydes d’azote[[http://www.consilium.europa.eu/en/press/press-releases/2016/02/12-vehicle-emissions-in-real-driving-conditions-2nd-package/]]. Un troisième paquet vient d’être présenté récemment au TCMV, visant à définir les modalités de mesure du nombre de particules émises lors des tests sur route. Des documents de travail dont la fédération européenne T&E a pu prendre connaissance, il ressort que les constructeurs et certains Etats membres mettent tout en œuvre pour affaiblir une proposition qui est déjà insuffisante en soi.

L’art du mitage

La Commission propose de tolérer que, durant les tests RDE, les émissions soient de 50% supérieures aux normes Euro 6 précitées. Ceci, officiellement, pour tenir compte de l’imprécision des mesures. Les constructeurs demandent une tolérance de 300% (3 fois plus que la limite), ce qui leur permettrait d’échapper à l’obligation intolérable d’équiper les voitures d’un filtre à particules coûtant 25 euros. Leur attitude est d’autant plus illégitime que l’imprécision des mesures agit plutôt dans l’autre sens : les instruments actuels sous-estiment le nombre de particules du fait qu’ils ne peuvent compter qu’environ la moitié des particules dont le diamètre est inférieur à 23 nm (23 millionièmes de millimètres).

L’allongement des délais est une des spécialités du TCMV. Ce comité a, par le passé, plusieurs fois obtenu le report de mesures d’exécutions relatives à des règlements adoptés plusieurs années auparavant. Aujourd’hui, plusieurs Etats membres cherchent à reporter l’entrée en vigueur du troisième paquet RDE ; notamment l’Espagne (SEAT n’y est sans doute pas étranger) et la Suède (de même avec VOLVO).

La qualité des carburants est sévèrement contrôlée en Europe ; ainsi, l’essence doit respecter la norme internationale CEN 228. Cependant, tout en respectant cette norme, les carburants peuvent varier dans leur composition – et dans le nombre de particules émises lors de la combustion. Les constructeurs sont parvenus à faire inscrire dans les « considérants » du troisième paquet RDE, une clause qui permettrait de ne tester les voitures qu’avec les carburants produisant le moins de particules – et donc de s’écarter des conditions réelles standard.

Un véhicule pollue plus quand le moteur est froid. Un trajet moyen en Europe dure entre 15 et 20 minutes ; le moteur est donc froid durant une partie non négligeable de l’utilisation du véhicule. Les tests RDE sont nettement plus longs (de 90 à 120 minutes) ; la proportion avec moteur froid est donc plus faible. Le troisième paquet RDE inclut une méthode pour corriger ce biais, mais celle-ci sous-estime grossièrement les émissions additionnelles en conditions réelles.

Les filtres à particules doivent se régénérer régulièrement. Ces régénérations produisent de hauts niveaux de NOX, ce qui devrait être pris en compte dans le calcul des émissions en RDE. Ceci est fait, mais en considérant que les régénérations sont deux fois moins fréquentes que dans la vraie vie. Par ailleurs, la proposition permet aux constructeurs de connecter le dispositif de mesure à l’unité de contrôle du moteur. Ce qui leur permettrait que repérer que l’on est en test et d’utiliser un dispositif d’invalidation. Répétant de ce fait une des faiblesses majeures des tests actuels en laboratoire.

Un lobby purement dogmatique

Le scandale dieselgate trouve son origine dans les comportements des constructeurs qui, dans un but purement financier, se permettent des libertés avec les tests, sous le regard bienveillant de certains laboratoires de mesures et de certaines autorités d’homologation[[Voir notamment ce billet : http://www.iew.be/spip.php?article7770]]. Les émissions de particules fines des moteurs à essence à injection directe constituent un réel souci pour la santé humaine. Un simple filtre de 25 euros permettrait de résoudre le problème. Pour éviter d’être obligés d’en équiper leurs voitures, les constructeurs tentent, avec l’aide de certains Etats membres, d’affaiblir la législation. Ce qui est triplement ridicule. D’une part, le coût d’un filtre est tout rikiki, bien inférieur à celui d’une option peinture métallisée – dès lors que la loi s’applique à toutes les nouvelles voitures, augmenter le prix de vente de 25 euros ne modifierait en rien le marché automobile. D’autre part, dépenser des fortunes en manœuvres de lobby pour éviter d’avoir à payer ce « surcoût » frôle l’irrationalité. Enfin, l’industrie automobile, dont l’image a fortement pâti du dieselgate, risque de perdre dans cette aventure ses derniers semblants de respectabilité.

Si les manœuvres des constructeurs et de certains Etats complaisants aboutissent, des dizaines de milliers de personnes le payeront de leur vie. Et les constructeurs répéteront benoitement qu’ils n’y peuvent rien, qu’ils obéissent aux règles. La Commission et les Etats membres ont le devoir de protéger les citoyens européens – et de protéger l’industrie face à ses vues à très court terme, à ses préoccupations strictement financières.

Vous pensez, comme beaucoup, que la santé n’a pas de prix ? Les constructeurs vous disent que si – et que ce prix est inférieur à 25 euros.

Ce billet est largement inspiré de l’excellent document de synthèse publié par T&E et consultable ici : https://www.transportenvironment.org/publications/gasoline-particulate-emissions-next-auto-scandal