Normes CO2 des avions : Airbus aux commandes

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Des courriels échangés entre Airbus et la Commission européenne le prouvent : l’avionneur a été intimement associé à la rédaction de la position de la Commission européenne sur la norme CO2 applicable aux avions. Ceci avec la complicité de l’Allemagne, de l’Espagne et de la France.

Les courriels échangés entre Airbus et la Commission européenne montrent que, lors de la rédaction de la position de l’UE en matière de diminution de l’impact climatique des avions, Airbus s’est vu accorder des privilèges particuliers. Résultat : la « norme sur les émissions de CO2 pour les aéronefs » adoptée à huis clos en 2016 par l’Organisation de l’aviation civile internationale (OACI) et validée par son Conseil le 06 mars de cette année ne permettra nullement de réduire les émissions croissantes du secteur. Dans les faits, cette norme résulte essentiellement de négociations entre les États-Unis, l’Union européenne et le « tandem » Airbus/Boeing.

En annonçant, en mars, l’adoption de cette norme CO2, le président du Conseil de l’OACI soulignait néanmoins le rôle de « chef de file » du secteur ainsi que « les mesures concrètes qu’il met en avant pour assurer un avenir durable et responsable sur le plan de l’environnement pour l’aviation civile internationale ». Pour le dire sans détour : « gonflé, le mec ! »

La preuve par les courriels

La fédération européenne Transport & Environnement (T&E) a obtenu les courriels échangés par Airbus et la Commission via une demande d’accès à l’information, après qu’Airbus et l’OACI se soient opposés à la divulgation publique de ceux-ci. La correspondance a finalement été rendue accessible à l’issue d’un processus d’appel de 18 mois.

Comme il apparaît à la lecture des échanges entre Airbus et la direction des transports de la Commission (la DG MOVE), l’avionneur a directement modifié la position de négociation de l’UE pour l’OACI. Un des courriels indique même qu’Airbus – société soumise à la régulation – a « accepté » les modifications apportées par la Commission – le régulateur – tout en proposant des « commentaires finaux » après s’être assuré du soutien de l’Allemagne et de l’Espagne (connues comme « nations d’Airbus » au même titre que la France). Un autre courriel révèle qu’Airbus a demandé explicitement la confirmation que l’UE « respecterait ces lignes rouges ».

Pourquoi l’OACI ?

Si des objectifs de réduction des émissions de CO2 des voitures et utilitaires légers (camionnettes) ont été adoptés en Europe depuis 2009, rien de tel n’existe pour les avions. Cette absence de cadre légal est, avec la lenteur des progrès technologiques dans l’efficacité énergétique des avions, l’une des principales raisons pour lesquelles les émissions de CO2 du secteur continuent de croître.

L’agence de l’ONU qui règlemente l’aviation (l’OACI), sous pression depuis longtemps, acceptait finalement en 2009 de s’attaquer au problème (à contrecœur, est-il besoin de le préciser). Le groupe d’experts indépendants mis en place par l’OACI recommandait une approche de type réglementaire. Cinq années de travail s’ensuivirent, durant lesquelles l’industrie maintint une pression constante. Malgré les déclarations de l’UE qui avait insisté dès le début du processus sur la nécessité que l’OACI prenne des mesures ambitieuses, l’exécutif européen a, dans les faits, travaillé en étroite collaboration avec Airbus pour limiter autant que faire ce peut le caractère contraignant des futures normes CO2.

Les normes environnementales pour les aéronefs sont adoptées en Europe par l’intermédiaire de l’Agence européenne pour la sécurité dans l’aviation (EASA). L’UE n’a actuellement pas le pouvoir d’aller au-delà des règles de l’OACI. Les normes pour l’aviation doivent être littéralement copiées et collées dans la législation de l’UE. Aucun autre État dans le monde ne restreint ainsi sa propre souveraineté, pas même les États-Unis, qui adoptent parfois des normes plus strictes que celles de l’OACI.

L’opacité expliquée aux enfants

La norme CO2 pour les avions a donc été élaborée sur plusieurs années, avec plusieurs étapes intermédiaires cruciales. Il est intéressant de faire un arrêt sur image sur la réunion de février 2016 du Comité sur la protection de l’environnement de l’OACI (le CAEP). C’est au cours de celle-ci qu’ont été adoptées les normes pour la production d’avions. Le CAEP est composé de 24 États, l’Union européenne comptant pour huit d’entre eux (soit un tiers des sièges). Il existe également un grand nombre d’observateurs de l’industrie et de certaines ONG. Les réunions du CAEP ne sont pas publiques et il est interdit de divulguer des documents. Les personnes impliquées doivent signer un accord de confidentialité par lequel elles s’engagent à ne rien divulguer de ce qui se dit dans ces réunions. Lorsque les décisions finales ont été prises lors de la réunion de février 2016, tous les observateurs ont été priés de sortir : ne restaient que les 24 États.

Les intérêts financiers ou le climat ?

Certes, Airbus et de nombreuses compagnies aériennes européennes sont de gros employeurs. Mais ceci est vrai de beaucoup d’autres industries et toutes ont été obligées de faire des efforts pour réduire leurs émissions. Jusqu’à présent, le secteur aérien a échappé à toute réglementation environnementale digne de ce nom. Tant que la Commission européenne entretiendra cette opacité, cette proximité exclusive avec l’industrie aéronautique, l’augmentation des émissions de gaz à effet de serre de l’aviation civile continuera son petit bonhomme de chemin.

Sortir de cette dynamique mortifère implique d’accepter l’évidence : la technologie ne permettra pas de limiter des émissions du secteur à volume de transport inchangé. Il faut drastiquement réduire le nombre de vols si l’on veut maîtriser l’impact climatique de ce secteur. Ce qui nécessite d’abandonner la croyance dogmatique selon laquelle le couple croissance économique/technologie va sauver le climat et la santé financière du secteur. En la matière, ce sera hélas l’un ou l’autre. Ou plus exactement l’un (le climat) ou ni l’un ni l’autre (le secteur disparaîtra brutalement avec nos sociétés lorsque les bouleversements climatiques s’accéléreront faute d’actions suffisantes).