Les paysages : des accélérateurs de participation contre l’éolien

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Souvent, on se lamente sur l’utilisation effective des procédures de participation en Wallonie. On trouve que l’aménagement du territoire et l’environnement mériteraient plus d’intérêt ; on désespère devant une implication citoyenne qu’on rêverait plus forte. Autant d’actes manqués qui – c’est là que le bât blesse – ne reflètent pas l’assentiment véritable de la population sur des projets mais plutôt sa difficulté à s’exprimer tôt dans le processus afin d’améliorer lesdits projets et, peut-être, éviter le clash ultérieur.

Alors que des générations se sont battues pour « démocratiser » les procédures de remise de permis et d’adoption de plan, que le Droit leur a finale- ment donné raison, il est frustrant de constater l’insuccès généralisé des procédures. Mais s’arrêter à ce constat serait partiellement incom- plet. Dans la foultitude des types de projets wallons, certains suscitent en effet un intérêt remarquable de la population : porcheries industrielles, centres commerciaux et… éoliennes. Pour ces projets, l’utilisation des procédures formelles de participa- tion est totale. On y adjoint même, dans une optique maximaliste de contestation à tout-va, de l’agitation avant le lancement de toute procé- dure formelle, des rencontres avec les politiques et, le cas échéant, dans une phase ultime, des recours en justice.

Sans ouvrir le débat sur le bien-fondé de l’éolien comme source d’énergie renouvelable, propre et maîtrisée – débat qui a été tranché dans un sens très clair par les pouvoirs publics lors de leurs choix énergétiques – faisons plutôt un peu d’aménagement du territoire et intéressons nous à l’argument essentiel des « anti-éoliens », le paysage. Car, soyons honnêtes, si cet argument n’existait pas – un peu d’imagination! –, le ministre Henry et le Conseil d’Etat passeraient-ils autant de temps à éplucher des dossiers éoliens en recours? On peut en douter. Le paysage semble en effet souvent l’élément central sinon des arguments anti-éoliens, du moins de l’intensité de l’opposition.

De quoi parle-t-on ? Et en parle-t-on bien ?

Alors que le terme de territoire se rapporte à l’existant de manière neutre, celui de paysage est lié à la perception que nous en avons. Si cette perception est aussi affaire de représentations ancrées dans la culture locale spécifique, elle dépend à la base de facteurs morphologiques nettement définissables. A mener une analyse paysagère « objective », c’est bien là-dessus qu’il s’agit d’opérer.

Les facteurs qui font le paysage sont les suivants.

 Les lignes de force. Elles constituent l’ossature d’un paysage. S’imposant à l’œil, elles donnent au paysage son dynamisme (lignes verticales, brisées) ou sa tranquillité (lignes horizontales, continues).

 Les points d’appel. Des éléments, par leur échelle ou leur verticalité, se détachent de l’arrière-plan. De nature diverse (arbre, clocher, pylône), ils sont visibles de loin et sous différents angles.

 Les pleins et les vides. Ils donnent corps au paysage par leur succession qui rythme l’espace. Les pleins donnent des espaces fermés procurant un sentiment d’intimité. Les vides provoquent des ouvertures.

 Les textures. Les matières confèrent au paysage une composante palpable. Du granuleux au velouté, du strié au moutonné, les éléments du paysage présentent très différemment.

 La lumière et les couleurs. Changeant selon la temporalité, la lumière et les couleurs renforcent les lignes de force et mettent plus en évidence l’un ou l’autre détail.
La distinction entre perception du paysage et réalité physique du territoire est donc forte. Des réalités structurelles essentielles du territoire peuvent paraître quasi invisibles au niveau paysager. Des éléments insignifiants du territoire peuvent, à l’in- verse, par un habillage particulier, totalement s’imposer dans le paysage.

Le fait éolien permet de saisir aisément cette nuance entre paysage et territoire. Alors que le résidentiel wallon continue à s’étendre dans l’indifférence généralisée – près de 1.000 km2 sont aujourd’hui recouverts de maisons –, la plantation de quelques mâts éoliens sur des socles artificialisant quelques dizaines de m2 suscite une opposition farouche.

L’essentiel des éléments qui composent les paysages ruraux sont d’échelle humaine : maisons, chemins, arbres. Mais avec les éoliennes, il en est autrement. Dans un environnement rural assez homogène, une éolienne crée, par rapport aux autres éléments paysagers, des ruptures d’échelle considérables. Il faut dire que, mis à part les lignes haute-tension, les pylônes relais ou les grands ponts, les structures de plus de 100m de haut sont rares dans le paysage.

Si l’éolienne devient un élément de référence du paysage, ce n’est pas uniquement en raison de sa taille. Une autre mutation claire qu’elle imprime est son mouvement. Presque instinctivement, notre attention est captée. Ce qui augmente la place qu’on leur accorde dans le paysage. L’ultime aspect qui fait de l’éolienne une structure à l’impact paysager très important, c’est son esthétique. Sa structure élancée et ses pales en rotation lui confèrent une modernité totale, ce qui rend son implantation dans des sites naturels ou des ensembles patrimoniaux parfois déconcertante pour certains.

Inscrire le projet éolien dans le paysage plutôt que l’y intégrer

Chaque jour davantage, on cherche à intégrer les nouveaux projets dans le paysage. Si cette préoccupation percole partout, c’est dans le monde rural qu’elle est suivie le plus scrupuleusement. Il faut dire que l’imaginaire collectif continue de voir en la ruralité un espace naturel et sauvage qu’elle n’est en rien. Le monde rural, autant sinon davantage que les espaces urbanisés, est le produit spatial des activités des hommes. Des champs aux haies, des pessières aux pelouses calcaires, quasiment rien de ce qui constitue la campagne aujourd’hui ne peut revendiquer un quelconque caractère authentiquement naturel. En tout cas en Belgique. Pourtant, au nom de cette vraie fausse raison, on devrait figer les paysages ruraux actuels et ne plus y toucher. On s’interroge…

Par ailleurs, la prise en compte des paysages devrait être davantage fonction de l’enjeu. Toute modification du paysage ne doit pas être appréhendée avec la même sévérité. Quand ces modifications sont dictées dans l’intérêt général, il faut savoir les accepter plus facilement. L’éolien est clairement dans ce cas, eu égard les enjeux énergétique et climatique. La question qu’il faut se poser n’est donc pas «Doit- on- accepter l’éolien sur le territoire?» mais bien «Comment l’éolien doit-il venir se placer sur le territoire?». C’est tout le sens d’ailleurs du «package» éolien que le Gouvernement wallon est en train de réactualiser: cadre de référence, cartographie, décret.

Les mutations « non intégrables» qu’apporte un projet éolien au paysage rendent inadaptée la notion d’«intégration dans le paysage». L’expression «l’inscription d’un projet éolien dans le paysage» semble plus appropriée. Il faut cesser l’hypocrisie. Le phénomène éolien change le paysage. Mais est-ce un mal, pour autant que cette inscription soit faite le mieux possible? Inscrire les éoliennes dans le paysage, c’est faire en sorte qu’elles dialoguent harmonieusement avec le paysage existant, en soulignant par exemple à distance tel trait de caractère ou telle ligne de force.
En tout cas, c’est la conviction, qu’en tant qu’observateur attentif du développement du territoire wallon, et en particulier de son équipement éolien, j’ai pu acquérir.