les PGDH ou le principe d’immunité agricole

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Le principe pollueur-payeur est inscrit dans la directive-cadre sur l’eau à travers le principe de récupération des coûts des services liés à l’utilisation de l’eau. Cela implique que les différents secteurs, en distinguant au minimum secteur des ménages, secteur industriel et secteur agricole, « contribuent de manière appropriée à la récupération des coûts des services liés à l’eau, sur base d’une analyse économique appropriée[Directive cadre sur l’eau Dir. 2000/60/CE, article 9]] … ». Que le coût des mesures visant à réduire les pollutions d’origine agricole soit potentiellement lourd pour ce secteur est une chose. Que la Wallonie décide d’exempter un secteur de toute contribution à la réduction de problèmes dont il est la principale cause en est une autre. Incompréhensible et inacceptable.

Les deuxièmes plans de gestion par districts hydrographiques (PGDH) [sont actuellement soumis à enquête publique. Pour rappel, ces plans découlent de la directive-cadre sur l’eau (DCE) qui impose aux états membres de l’UE de prendre les mesures nécessaires pour que toutes les masses d’eau atteignent le bon état d’ici 2015. L’objectif étant loin d’être atteint, les efforts doivent être poursuivis à travers un second cycle de plans qui couvrent la période 2016-2021. Les causes de la mauvaise qualité de nos eaux sont pour la plupart connues. Qu’il s’agisse de pressions anthropiques constantes, de pollutions ponctuelles ou diffuses, la responsabilité de chaque secteur peut être identifiée et évaluée. Pour chaque masse d’eau, de surface ou souterraine, il est possible de déterminer les paramètres déclassants et de cibler les causes. Les états membres ont donc l’obligation de prendre des mesures adéquates pour juguler la ou les source(s) de pollution.

Pour améliorer la qualité écologique et chimique des masses d’eau et viser le bon état, un programme de mesures est élaboré, mesures regroupées par thème ou secteur. Les mesures du scénario « bon état » sont passées à la moulinette d’une analyse économique qui évalue la capacité de chaque secteur à payer les mesures qui seraient à leur charge. L’analyse économique de ces 2èmes PGDH révèle des coûts disproportionnés pour le secteur agricole. Soit. Des ajustements au scénario « bon état » ont été opérés pour alléger la facture imputable à ce secteur, facture estimée à près de 22 millions€ annuellement. Mais stupeur et consternation quand on constate que l’allègement est devenu un effacement pur et simple et que la contribution du secteur agricole est égale à 0€.

Quatre mesures phares à charge du secteur agricole étaient proposées dans le scénario « bon état » :

  1. L’interdiction d’accès au bétail au cours d’eau ;
  2. L’installation de bandes enherbées le long des cours d’eau bordant les parcelles cultivées dans les masses d’eau fortement impactées par l’agriculture ;
  3. Le remplacement des cultures les plus polluantes dans les masses d’eau dégradées ;
  4. La définition de zones vulnérables aux pesticides

Ces quatre mesures ont disparu du programme retenu et remplacées par d’autres mesures, certes pertinentes, mais dont on peut douter de l’impact environnemental puisqu’elles sont surtout des mesures volontaires ou des mesures de suivi. Ce qui est proposé pour le secteur agricole ressort presqu’exclusivement de plans existants[[Programme de Gestion Durable de l’Azote (PGDA), PwDR]] dont l’objectif premier n’est pas l’amélioration de la qualité des eaux. Le document général des PGDH le dit d’ailleurs sans ambages : « il est prudent d’estimer que la qualité des eaux de surface s’améliorera d’ici 2021 essentiellement dans les masses d’eau qui dépendent principalement de l’assainissement des eaux usées et industrielles, si tant est que les investissements retenus soient bien réalisés d’ici 2021. »

On peut raisonnablement s’interroger sur les raisons qui ont motivé l’exemption de contribution de la part du secteur agricole aux mesures du PGDH. Cette politique du « tout ou rien » est contestable alors que des alternatives aux mesures jugées trop coûteuses pour le secteur auraient dû être explorées. La mesure visant l’installation de bandes enherbées le long des cours d’eau pouvait par exemple envisager des largeurs intermédiaires aux 6m généralement préconisés. Cette mesure, obligatoire en France et intégrée au niveau de la conditionnalité agricole, a pourtant trois impacts bénéfiques : l’abattement des concentrations en nitrates et en pesticides, une réduction de l’érosion des sols et une facilité de contrôle du respect de l’interdiction d’épandage (engrais et pesticides) sur la bande tampon…Au final, la mesure subsiste sous la forme d’une mesure agri-environnementale (MAE) au caractère non contraignant.

La seule justification du coût disproportionné pour le secteur agricole est un peu légère quand on sait qu’il existe des instruments financiers pour mettre en œuvre ce type de mesures. Le Programme wallon de Développement Rural (PwDR) financé à 40% par des fonds européens et 60% par la Wallonie aurait pu encourager davantage des mesures ciblées protégeant les ressources en eau. Là aussi la Wallonie a fait un choix…

Par ailleurs, la façon dont la Wallonie applique le principe « pollueur-payeur » est interpellante quand 13 masses d’eaux souterraines sur les 33 que compte le territoire sont classées en mauvais état, dont 11 pour lesquelles les paramètres déclassants sont les nitrates et/ou les pesticides. Le tableau de la répartition des coûts de mesures montre un déséquilibre par rapport au principe de récupération des coûts des services liés à l’eau. S’il est vrai que l’assainissement des eaux domestiques est un poste qui nécessite encore de lourds investissements, le coût vérité de l’assainissement (CVA) payé par la facture du consommateur aurait tendance à être utilisé aussi pour le traitement des eaux polluées par d’autres secteurs.

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Tableau : Coûts des mesures du scénario retenu pour les PGDH (période 2016-2021). Répartition des coûts par secteur.

A quoi s’expose la Wallonie en affichant une contribution nulle de la part d’un secteur pourtant identifié comme force motrice exerçant une pression sur les masses d’eau ? La Commission européenne ne manquera sans doute pas de relever ce manquement. Elle soulignait d’ailleurs dans ses recommandations relatives aux premiers PGDH[[Rapport relatif à la mise en œuvre des plans de gestion de bassins hydrographiques prévus par la directive-cadre sur l’eau Communication de la Commission au Parlement européen et au Conseil http://ec.europa.eu/environment/water/water-framework/pdf/4th_report/MS%20Annex%20-%20Belgium_fr.pdf]] que la seule mise en œuvre des mesures relatives à la directive « nitrates » était insuffisante pour lutter contre les pressions d’origine agricoles et permettre l’établissement de conditions plus strictes afin de concourir aux objectifs de la DCE. La Commission pointait la nécessité non seulement de veiller à ce que les mesures de base tel le Programme de Gestion Durable de l’Azote (PGDA) soient renforcées et mieux contrôlées, mais encore de «définir clairement des mesures supplémentaires nécessaires pour combler l’écart avec le bon état et indiquer leur source de financement». En la matière, les poches des agriculteurs semblent d’emblée exclues par nos décideurs wallons.

Gaëlle Warnant

Économie Circulaire