De l’odeur des déchets à celle de l’argent

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Le 21 décembre dernier au petit matin, Namur était réveillée par des klaxons assourdissants. Aux volants, non pas les employés d’Arcelor dont l’indignation coule de source, mais des dizaines de travailleurs de l’ICDI, l’Intercommunale pour la Collecte et la Destruction des Immondices de la Région de Charleroi, persuadés de n’avoir pas d’autre choix pour sauvegarder leur emploi que de manifester bruyamment. Or leur situation est bien différente de celle des travailleurs de l’acier, et nécessite un peu de remise en perspective.

L’ICDI exploite deux fours d’incinération à Pont de Loup pour détruire les déchets des 418 400 habitants de son territoire, soit un peu plus de 200 000 tonnes en 2011. L’un de ces deux fours a été rénové en 2005, tandis que l’autre (le four 3) est âgé de 25 ans et n’est plus vraiment apte au service. Notamment, le rendement du système de récupération d’énergie à partir de la chaleur produite est inférieur aux 60% exigés par la législation européenne qui permet à un incinérateur d’être dans ces conditions considéré comme unité de valorisation d’énergie. En-dessous de ce seuil, le four n°3 n’est « que » une installation d’élimination de déchets (ce que tout incinérateur est, au départ, mais cela est une autre histoire…). Or la législation institue que dorénavant l’élimination ne peut avoir lieu que si la prévention, la réutilisation, le recyclage ou la valorisation énergétique n’ont pu avoir lieu. Le four n°3 devient donc bien moins attractif pour tout qui veut se débarrasser de ses déchets… La rénovation permettrait de récupérer le statut d’installation de valorisation énergétique et donc de substantiels bénéfices. Mais le Ministre compétent refuse d’allouer des subsides pour cette rénovation, arguant que la Région dispose d’une capacité suffisante d’incinération, et les travailleurs craignent que cela signifie la disparition de leur emploi.

Le marché des déchets doit cependant être florissant, puisque l’ICDI a finalement décidé de ne pas tabler sur ces subsides et de supporter le coût financier de cette rénovation. Ainsi, les riverains ont pu découvrir le projet en question lors d’une réunion d’information préalable le 16 janvier dernier. Mais la lecture des documents présentés à cette occasion laisse perplexe quant à la justification de cette décision, au détriment d’autres options plus intéressantes pour l’économie et pour l’environnement.

Ainsi la stratégie 2020 de l’ICDI prévoit-elle qu’il faudra traiter 117 500 tonnes en 2020, dont 77 500 t de déchets ménagers. Au sein de ces déchets ménagers, seules 12 000 t de déchets organiques sont considérées comme récupérables séparément et sont destinées à être « traitées dans une unité de biométhanisation externe » (extrait du texte). Or les campagnes d’évaluation effectuées régulièrement par la Wallonie montrent qu’environ 40% du poids d’une poubelle « tout-venant » sont constitués de déchets organiques. 40% du poids de nos poubelles sont donc évitables, soit par une collecte séparée (zones urbaines) soit par un encouragement au compostage à domicile (zones rurales).

A la lumière de ces chiffres, la politique d’investissement de l’ICDI semble bien passéiste. Plutôt que d’investir dans un four d’incinération qui sera en concurrence avec tous les autres incinérateurs wallons, flamands et du Nord de la France, pourquoi ne pas plutôt profiter de la volonté générale de mieux gérer les déchets pour innover en construisant un centre de biométhanisation à Charleroi ? La Wallonie souhaite s’engager dans une collecte séparée des déchets organiques dans les années à venir, or le seul centre wallon de biométhanisation se trouve à Tenneville, dans le Luxembourg, et il draine les flux des provinces de Namur et du Luxembourg. Il y a donc des opportunités de création de nouveaux centres de traitement pour ces déchets dont les tonnages sont appelés à augmenter dans les années à venir. Et la région de Charleroi, centrale en Wallonie, est bien située pour installer un tel centre de biométhanisation. Le Ministre Henry l’a bien compris, en proposant à l’ICDI d’en subventionner la création.

Mais l’ICDI préfère investir dans une technologie certes rentable à court terme, mais nuisible à plus long terme : un incinérateur construit doit être alimenté de manière régulière pour garder un bon rendement. Le risque d’attirer différents flux autrement valorisables est donc grand, ainsi que celui d’oublier la première étape de toute bonne gestion des déchets : ne pas les produire.