Retour en force des béguinages !

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Dans une contexte de pression de plus en plus forte pour que des décisions soient prises et des actions soient réalisées en matière de lutte contre les changements climatique, on constate que le focus est de plus en plus souvent mis sur le rôle de l’aménagement du territoire. Il est en effet aujourd’hui reconnu que la combinaison « performance énergétique des bâtiments/navette domicile-travail » contribue de manière importante à notre consommation énergétique globale, et donc au niveau de nos émissions de gaz à effet de serre.

Les plus récents travaux de la Conférence permanente de développement territorial (CPDT), corroborent ce constat. On y insiste particulièrement sur les vertus de la densité du bâti et de la mixité des fonctions. En effet, au-delà du niveau d’isolation du bâti, les immeubles à appartements et les maisons mitoyennes seront par leurs formes moins consommateurs en énergie que des maisons « quatre-façades ». A cela s’ajoute qu’avoir la possibilité de travailler, de faire ses courses et d’aller au théâtre à proximité de son domicile, permet de réduire ses besoins en déplacements, et donc, sa consommation en énergie. La ville, dans ce contexte, constitue la forme urbanistique de loin la plus favorable.

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Emissions de gaz à effet de serre à Vancouver : plus on habite loin du centre-ville, plus on émet (source : bureau d’architecture Busby Perkins + Will)

Si en Wallonie les déclarations d’intention dans les camps politiques sont là (voir par exemple Les lignes de force de la politique d’aménagement du territoire pour le 21ème siècle du ministre Henry présentées le 17 décembre 2010), sur le terrain, les réalisations se font attendre. Les Wallons continuent, envers et contre tout, à vouloir habiter à la campagne (ou dans ce qu’il en reste). Leur aspiration fondamentale : quitter la ville, ses loyers chers et ses nombreuses nuisances, pour la campagne, ses maisons avec jardins, ses grands espaces, et son calme. Aspiration légitime, certes, mais aspirations… destructrices. Car, ce n’est pas que la campagne qui en pâtit, et la ville qui en meurt, c’est aussi la planète qui en étouffe.

Inverser aujourd’hui un exode urbain qui a cours depuis plus de 50 ans est nécessaire. Mais pour ce faire, il faut tenir compte des aspirations des gens ou à tout le moins des aspirations les plus légitimes, c’est à dire celles qui sont compatibles avec les réalités collectives. Si la ville rebute pour son insécurité tout court et/ou routière, son manque de verdure, l’anonymat qui y règne, ou sa trop grande saleté, les pouvoirs publics doivent mettre en place des politiques adaptées pour remédier à ces problèmes. Les opérations de rénovation urbaine et de revitalisation urbaine ont dans ce contexte tout leur sens : visant à améliorer l’habitabilité de la ville, elles contribuent à réduire l’hémorragie.

Des configurations urbanistiques et architecturales pourraient aussi être relancées. En effet, certaines formes passées d’habiter pourraient aujourd’hui assez bien correspondre aux attentes individuelles des Wallons, tout en étant davantage conformes aux impératifs de densité et de mixité.

Et si les béguinages n’avaient pas perdu tout leur intérêt

Quand on parle aujourd’hui de béguinage, on pense aux ensembles patrimoniaux exceptionnels que l’histoire a légués à plusieurs dizaines de villes en Belgique : Bruges, Louvain, Courtrai. Ces ensembles sont des bâtiments mitoyens s’organisant autour d’une cour arborée, et qui rassemblent des logements et des installations communes : infirmerie, ateliers, four. A partir du Moyen-âge, des femmes, les béguines, désireuses de vivre leur vie dans la religion sans devenir bonnes s½urs ont habité ces ensembles. Cette tradition s’est prolongée dans les siècles qui ont suivi, jusqu’à décliner et disparaître au 19ème siècle.

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Béguinage de Bruges

Ces dernières années, ce concept urbanistique semble renaître en Belgique. Si dans un souci mémoriel des béguinages modernes sont redéveloppés sur les lieux historiques de béguinages disparus, ce ne sont pas les seuls ensembles qui voient le jour aujourd’hui. Ces dernières années, en Flandre comme en Wallonie, des projets immobiliers entièrement neufs ont été développés, leurs concepteurs, et à leur suite, leurs habitants revendiquant farouchement le vocable de béguinage : le Petit Béguinage à Louvain-la-Neuve ou encore le Jardin du Béguinage à Etterbeek. Si une certaine dimension religieuse est parfois demeurée, c’est surtout la notion de projet de vie qui semble aujourd’hui particulièrement définir ces modes d’habiter.

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Un béguinage moderne à Gand, à la place d’un ancien

On ne décide pas d’habiter un béguinage parce que l’on souhaite vivre seul et reclus. Loin de là. La question du voisinage y est essentielle. L’architecture du béguinage est ainsi faite que s’il existe des espaces privatifs individuels, une part non négligeable de la vie de chacun se réalise dans des espaces collectifs. Cette vie collective, elle est généralement sous-tendue par un projet commun. L’architecture de l’ensemble du béguinage exprime visuellement cette dimension collective. En effet, si les maisons y sont relativement homogènes, elles se distinguent très clairement des environs bâtis. Sans vouloir se démarquer collectivement du quartier, on peut percevoir une volonté claire de se montrer réunis.

Un habitat groupé comme le béguinage entre en parfaite adéquation avec les recommandations urbanistiques actuelles. Par exemple, les possibilités d’implantation des maisons sont plus nombreuses que dans le cadre individuel, et les rapports avec les voiries et l’espace public sont plus importants. Plus fondamentalement, les volumes bâtis étant regroupés autour d’espaces communs, la forme architecturale du béguinage permet d’économiser sur la construction et la création de voiries et d’impétrants. Ces économies peuvent dès lors être réinvesties à l’amélioration du cadre de vie de l’ensemble.

La non-multiplication des accès individuels aux maisons évitent par ailleurs une dégradation chronique du paysage du quartier. Ceci d’autant plus qu’en temps normal les multiples accès individuels aux maisons particulières sont généralement accompagnés de zones de dégagements latéraux et de zones de cours et jardins. Cette isolation hélas classique des habitations du reste d’un quartier ne facilite pas les contacts et les relations interpersonnelles. Dans un béguinage, on est clairement dans une autre optique. La forme architecturale même vise à susciter les contacts, au sein de l’ensemble tout d’abord, et avec le reste du quartier ensuite.
Cette forme architecturale est d’autant plus adaptée qu’elle permet à une série de personnes seules (personnes âgées, étudiants, familles monoparentales) de trouver un logement correspondant à leurs attentes et générateur de lien social. Ce qui est d’autant plus remarquable, la structure immobilière et foncière actuelle demeurant extrêmement peu adaptée à leurs profils respectifs.

Cette adéquation quasi parfaite entre ces profils et le béguinage découle d’un des principaux atouts de cette forme architecturale : les espaces collectifs, bâtis ou non-bâtis. Les espaces bâtis peuvent constituer des espaces relationnels (cuisine, maison communautaire, buanderie). Les espaces non-bâtis peuvent constituer des espaces de transition entre la rue et les autres espaces, les couloirs ainsi que les jardins, espaces verts, de loisirs…

Ces espaces sont si importants pour un béguinage qu’ils en viennent à constituer un des principaux enjeux de la conception de ce mode d’habiter : comment organiser ces espaces communs ? Doit-on centraliser les espaces non-bâtis (jardins, cours) ? Ou au contraire les rejeter à l’arrière des maisons ? De multiples modalités sont possibles, et en fonction du public, de son projet de vie, du quartier, de l’environnement, l’une ou l’autre formule conviendra le mieux.

Mais revenons à notre point de départ : si la forme architecturale particulière du béguinage doit absolument continuer à être redécouverte, c’est parce qu’elle constitue une forme urbanistique très intéressante au niveau développement durable. A l’aune des préoccupations planétaires majeures liées au climat et à l’énergie, un vieux concept urbanistique comme celui-là a tout son avenir. On l’a vu, cette forme urbanistique participant clairement de la densification du bâti, elle rencontre tout à la fois les objectifs du Schéma de Développement de l’Espace Régional (SDER), du CWATUPE, et de la Déclaration Politique Régionale de juillet 2009. D’une pierre trois coups !!!

Extrait de nIEWs (n°87, du 3 au 17 février 2011),

la Lettre d’information de la Fédération.

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