L’habitat permanent, des manières d’aménager son territoire et son avenir

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Une définition brute de décoffrage de l’habitat permanent serait de le décrire comme le fait de résider toute l’année dans des lieux prévus pour un séjour temporaire. Par exemple, habiter en caravane ou en chalet, au lieu de n’y aller que pendant les périodes de congé. Souvent vu sous l’angle social, à travers des politiques intégrées associant le logement et l’aide sociale, il est désigné comme phénomène ou comme problème à résoudre, une approche qui n’exprime pas véritablement ce qui se passe là-bas, tout près de chez nous. Une belle enquête, menée par RTA pour l’IWEPS, livre en 125 pages le portrait complexe et vivifiant de personnes qui ont planté leurs racines dans un endroit hors norme, avec la volonté d’inventer leur propre solution face à des situations pas faciles.

D’ordinaire, pour savoir ce qui se passe du côté de l’habitat permanent, le Gouvernement wallon examine les statistiques annuelles que lui fournit la Direction interdépartementale de la Cohésion sociale du Service Public de Wallonie, ou DICS, qui pilote le plan HP. Combien y a-t-il de résidents dans les Campings et les domaines ? Combien d’enfants ? De quel âge ? Combien de pensionnés ? Combien de personnes ont-elles quitté les lieux depuis l’an passé ? Combien de communes sont-elles inscrites dans le plan HP ?

Une fois n’est pas coutume, les chiffres ont semblé ne plus suffire. En 2013, quand l’IWEPS, a été mandaté par le Gouvernement wallon pour lancer une procédure de marché public afin de faire réaliser une enquête à partir de témoignages de résidents, c’était déjà le qualitatif qui l’emportait sur le quantitatif.

Signe que le récit de vie allait avoir priorité sur les généralisations et les simplifications, RTA, l’asbl retenue pour mener ce travail d’investigation et de rencontre, a cadré son offre de la manière suivante :
« Une politique de cohésion sociale, pour être comprise, doit être reliée au modèle de développement sociétal auquel elle entend contribuer ; elle s’incarne dans des manières d’instituer la réalité (de « dire ce qu’est la réalité ») ; le rôle des institutions est bien de confirmer la validité de ce cadrage (de confirmer « la réalité de cette réalité ») ; pareil travail d’institution de la réalité a besoin de la critique, à laquelle il répond, pour être robuste ; la « critique » (comme la production d’une recherche ou d’une évaluation) permet de mettre au travail les représentations et les éléments-clés sur lesquels repose l’institution de la réalité concernée, ici l’habitat permanent.  »

Moins d’un an plus tard, le résultat du travail de RTA est publié en tant que Recherche n°13 de l’IWEPS, en octobre 2014. C’est un ouvrage passionnant, parfaitement gratuit, une saine lecture à mettre entre toutes les mains.

Saine lecture, pourquoi ? Parce que le rabâchage de banalités ne fait de bien à personne. S’il y a bien un sujet sur lequel se cultivent les apitoiements misérabilistes et les conclusions hâtives, c’est celui-là. Saine lecture, parce qu’elle vous aidera à détendre ceux de vos interlocuteurs qui pratiquent l’évitement en se drapant dans un « ils ne sont pas conformes au plan de secteur », toujours invérifié à ce jour. Saine lecture, parce qu’en apprendre plus sur la vie des gens de Wallonie ne doit pas se limiter à connaître le coiffeur de Justine Henin époque Grand Chelem. Saine lecture enfin, pour tous ceux qui connaissent l’habitat permanent de très près et attendent depuis longtemps que les choses avancent.

Ce nouveau texte de qualité pourrait y aider. A la trentaine de témoignages d’habitants actuels et anciens, dont les dires ont été retranscrits à la virgule près, succède une solide analyse, qui introduit de nouvelles grilles de lecture et fait appel à de nombreuses références extérieures pour étayer le propos des auteurs. Haute comme trois pages et musclée comme Jérôme, la conclusion fait prendre conscience de la complexité de la situation politique. Cela pourrait être l’endroit par lequel commencer votre lecture. Je vous invite donc à aller sans plus attendre à la page 90 de la version papier (page 100/125 dans la version téléchargeable).

Si nous voulons sincèrement que l’aménagement du territoire s’améliore toujours davantage en collant mieux aux réalités de terrain, il va falloir admettre, comme nous y invitent les auteurs de l’étude, « que la situation de résidant [orthographié sciemment de cette manière] permanent (…) paraît devoir être lue dans tous les cas comme le résultat d’une logique d’action dans laquelle se sont investis les protagonistes concernés. »

L’habiter transcende l’habitat

Il faut tout d’abord se rendre compte du caractère irréaliste et peu fécond d’un rapatriement vers des logements situés en zone d’habitat ou d’habitat à caractère rural, des personnes demeurant en zone de loisirs ou en autre zone dite « non urbanisable ». Ce rapatriement forcerait la Wallonie à s’équiper en un instant d’une impressionnante quantité de maisons et appartements dont elle ne dispose actuellement pas, dans la gamme de prix accessible aux habitants permanents. Notez au passage que la liste d’attente pour des logement sociaux compte plusieurs dizaine de milliers de personnes. Ce serait en outre nier une solution qui a pu être mise en place face à un logement impayable ou inadéquat. En somme, ce serait à la fois cruel et irresponsable.

Oui, « L’habiter transcende l’habitat » , pour reprendre le titre du chapitre III de la recherche de RTA. Les lieux où ces personnes se sont établies, parfois seules, parfois en famille, comptent énormément pour elles, même si d’aucunes, dans les récits, manifestent leur désir de trouver un logement plus adapté à leurs besoins. Ce lieu qui leur tient à cœur, c’est la nature, c’est le logement sur lequel elles ont travaillé, ce sont les voisins proches – proches dans tous les sens du terme – et c’est l’endroit précis où est établi leur camping, leur domaine. Ce lieu est devenu leur base, le point à partir duquel ils s’étendent dans le monde ; mettre ce point en péril, c’est saper leurs bases au sens propre et figuré. Christine Mahy, Secrétaire générale du Réseau wallon de lutte contre la pauvreté et Présidente du Réseau belge de lutte contre la pauvreté, avait mis toute sa sagacité et son éloquence dans la bataille lors de son audition par le Parlement wallon dans le cadre de l’évaluation du CWATUPE, le 14 juillet 2011. La nIEWs « Le Plan Habitat Permanent jette le bébé avec l’eau du bain » en donnait de large extraits. Y était soulignées la fatuité d’une opposition entre cette manière d’habiter et l’environnement, et l’ouverture nécessaire sur de nouvelles perspectives pour un aménagement du territoire qui favorise réellement le « vivre ensemble » et la cohésion sociale.

Le concept d’habiter, comme le signale l’introduction de la recherche, « souligne la nécessité d’intégrer plusieurs dimensions dans la politique du logement, et plus généralement dans les politiques sociales. Les résultats [de cette recherche] apportent un éclairage sur les raisons de l’insuccès relatif du plan HP en Wallonie si on ne considère que son but ultime, le relogement des personnes. Avant d’habiter dans une zone touristique, les ménages ont généralement combiné plusieurs difficultés pour accéder et rester dans un logement jugé plus traditionnel. La politique de relogement des habitants permanents ne tiendrait pas suffisamment compte de la dimension économique dans la durée. Vivre dans un logement « traditionnel » coûterait plus cher selon certains résidents permanents qui vivent avec un revenu en-dessous du seuil de pauvreté. Le manque de logements sociaux accessibles est très souvent pointé du doigt. Une autre raison de la difficulté de reloger ces personnes tiendrait à la valeur symbolique du logement. Comme tout le monde, les résidents ont des aspirations que l’on peut qualifier d’existentielles – une maison ouverte sur la nature, la compagnie d’animaux, l’intimité ou la communauté… Les résidents éprouvent du mal à renoncer à ces aspirations en échange d’un logement traditionnel qui ne correspond pas à ce qu’ils sont et à ce qu’ils veulent. »

S’investir, s’autoriser à, s’élever au statut de

Un débat parlementaire est aujourd’hui indispensable, pour confirmer l’impulsion déjà formulée durant la législature 2009-2014 et encourager l’action gouvernementale. Les associations œuvrant pour l’intégration sociale demandent que le Plan soit revu pour être enfin efficace et bien vécu. La notion de vie décente reprise à l’article 23 de la Constitution était respectée dans la première version du Plan HP, qui assurait ne vouloir faire empirer aucune situation. La seconde version du Plan HP s’abstient de mentionner cet objectif. Il conviendrait à tout le moins d’y faire à nouveau référence.

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Le lieu-dit du Charnia, à Biercée (Thuin).  A gauche, un champ labouré ; de l’autre côté de la petite route, une haute haie d’espèces marescentes forme écran. C’est derrière elle que se déploie le petit domaine du camping du Charnia. Plusieurs habitants se chargent de l’élagage et de l’entretien des arbres et buissons du site. Photo postée sur le blog campingducharniat.skyrock.com en novembre 2008.

Nous avons pu éprouver en direct, lors de notre « visite des aménités » au village de Biercée, l’intérêt des habitants pour leur lieu de vie et, au-delà, pour les grandes questions sociétales. Parmi ces personnes, et investis au même titre que tous les autres villageois dans le sujet de notre visite, il y avait des résidents du camping du Charnia. C’est chez eux, dans la salle de réunion, que nous avons fait l’introduction et le débriefing, accueillis comme des rois. Et devinerez-vous qui était prêt à passer encore plusieurs heures à parler du plan de secteur ? Le chef de camp en personne, qui possède un gros classeur d’aménagement du territoire, un peu comme ceux qui peuplent les rayonnages de nos administrations. Mais lui, il l’a construit de sa propre initiative…

En savoir plus

L’IWEPS est l’Institut wallon de l’évaluation, de la prospective et de la statistique. En tant qu’institut scientifique public, il a pour mission d’aider les pouvoirs publics à prendre des décisions. Le Gouvernement wallon lui confie notamment des recherches thématiques qui intéressent également les citoyens et les institutions politiques partenaires de la Wallonie, dans les domaines des sciences économiques, sociales, politiques et de l’environnement.

RTA, dont les initiales signifient Réalisation – Téléformation – Animation, mène un travail d’intervention sur le terrain dans des secteurs tels que l’aide à la jeunesse, le handicap, la culture, la santé, l’enseignement, etc. Sa spécialisation en analyse institutionnelle nourrit les recherche menées d’initiative ou à la demande d’associations partenaires et de services publics. RTA s’attache « à ouvrir ce que Michel Callon nomme la  » recherche confinée  » (soit celle, académique, menée par des chercheurs dans des laboratoires divers) à la  » recherche de plein air  » (soit celle menée sur le terrain, à petite échelle, par des travailleurs de terrain et/ou des bénéficiaires). Les expertises sont en effet à interroger des deux côtés et la richesse de ce métissage est incomparable. » Une institution à suivre…

La Fédération IEW a produit à destination des partis politiques et des institutions un position paper sur « Le Plan HP (habitat permanent) et la résidence permanente en-dehors de la zone d’habitat ». Sa version de mai 2014 est disponible sur demande auprès de notre secrétariat (j.debruyne@iew.be). Entre constats et propositions, ce position paper met l’accent sur deux axes qui paraîtront évidents aux personnes concernées : 1. La priorité est de sortir les citoyens de l’incertitude, et 2. La gestion de l’avenir exige d’être créatif dès maintenant. Faire un tel saut en avant représente un revirement pour la plupart des décideurs, qui préféreraient parfois laisser de côté ce dossier délicat malgré les démarches persévérantes des acteurs du secteur pour l’amener dans la lumière.

Une Lettre des CCATM, intitulée « Hors normes », abordait de front la question de la résidence en zones réputées non adéquates et la manière dont le Plan HP entendait la régler.

« Habiter autrement » était le sujet du n°84 des Cahiers Nouveaux,de décembre 2012, périodique publié par la DGO4. Les articles sont téléchargeables à partir de ce lien : http://spw.wallonie.be/dgo4/site_cahiers/index.php/recherche
Dans le formulaire de recherche, choisissez « Habiter autrement » dans le menu déroulant de la case « Thème ».

A quoi donne accès l’adhésion au plan HP ?

L’adhésion au plan HP est une démarche volontaire des communes. Selon cohesionsociale.wallonie.be, l’adhésion au plan HP « donne accès à un ensemble d’aides financières et d’outils méthodologiques destinés à soutenir les communes, les partenaires du Plan et les personnes dans leurs démarches de réinsertion.
A savoir, en détail, pour les communes :
prime à la démolition des caravanes et abris des personnes relogées, subvention au rachat des parcelles, aides spécifiques dans le cadre de la création de nouveaux logements, financement de divers acteurs locaux du Plan, aides spécifiques en développement rural et en travaux subsidiés, formation des acteurs locaux, mise à disposition de vade-mecum thématiques, de modèles divers… ;

pour les partenaires :
financement de la concertation locale, subventions spécifiques aux AIS, possibilité pour le FLW d’acheter et rénover des logements mis à disposition des résidents relogés, … ;

pour les personnes dans leurs démarches de réinsertion :
allocation d’installation, ADEL, garantie locative, accompagnement social, administratif, psychologique, … ».

Le site Wallonie.be, à la page dont provient l’illustration du présent article, nuance cette manière de présenter les choses, en passant sous silence la démolition des caravanes.
« Cette cartographie adoptée par le Gouvernement wallon est la référence pour les communes, les gestionnaires des zones d’habitat permanent et les notaires. Elle répertorie une centaine de sites HP, répartis sur 30 communes. Elle comprend outre un cadastre des parcelles, des informations sur la situation juridique de chaque site.
Les objectifs du plan HP sont de favoriser l’accès aux droits fondamentaux, notamment le droit au logement, pour les personnes résidant en permanence dans un équipement à vocation touristique comme les « campings », favoriser la réinsertion dans un logement décent des personnes concernées (relogement sur base volontaire), empêcher toute nouvelle installation de résident permanent (maîtrise des entrées), d’accompagner les résidents dans leurs démarches et de veiller à l’accès à l’eau et à l’électricité dans les sites d’habitat permanent. Cette forme de précarité touche environ 10.000 personnes en Wallonie. » (http://www.wallonie.be/fr/actualites/nouvelle-cartographie-cadastrale-des-sites-concernes-par-le-plan-habitat-permanent)